El movimiento


 Dès le lendemain des élections, le caractère excessif des espagnols se manifeste de nouveau. La démocratie, ils ne connaissent pas ! . Ils ne l'ont jamais connue ! Ils tarderont de longues années à la connaître! Les vainqueurs sont fous de joie pour ne pas dire fous tout court. Cette victoire de leurs 278 députés c'est leur Victoire (!?). A Madrid des foules surexcitées se massent devant le ministère et demandent la libération et l'amnistie immédiate pour tous les révolutionnaires des Asturies.

A Oviedo on n'a pas attendu, des bandes armées avec des armes sorties de je ne sais où, puisqu'elles avaient été " toutes " confisquées, ont attaqué les prisons et libéré tous les prisonniers y compris certains criminels de droit commun. A Alicante on se dirige vers l'hospice de FONTANILLAS où l'on soigne les lépreux, on les invite à sortir au " nom de la Liberté ". La maladie a du rendre ces personnes plus raisonnables que leurs libérateurs et ils refusent de sortir ! On propose alors d'aller libérer ceux de l'asile d'aliénés, mais en chemin la raison revient petit à petit dans la foule et les fous ne seront pas libérés.

Dans l'autre sens, FRANCO serait allé voir PORTELA VALLADARES, qui était Premier ministre intérimaire, dés que les résultats avaient été connus. Il aurait fait pression sur lui pour proclamer l'état de siège, c'est à dire l'état d'urgence maximum prévu par la loi pour maintenir l'ordre public. CALVO SOTELO aurait effectué la même démarche peu après. PORTELA aurait répondu que cela provoquerait une révolution, mais auparavant il aurait consulté MARTINEZ BARRIO, comme lui trente trois degré de la Maçonnerie. Il a été dit, sans que cela puisse être confirmé, que ces hommes suivirent les directives du Conseil Suprême mondial des Grands Maîtres de l'Ordre.

Quoi qu'il en soit, PORTELA, va agir tout à fait conformément à la Constitution, il passe les pouvoirs à AZAÑA dés le lendemain 18 février 1936.

Le premier acte de AZAÑA est d'amnistier les chefs socialistes. COMPANYS et les membres de son gouvernement, sortent de prison et sont acclamés en héros. Tout de suite après AZAÑA signe un décret autorisant les députés catalans à élire leur propre gouvernement. Pour COMPANYS et ses amis c'est un triomphe complet.
Le Tribunal des Garanties Constitutionnelles déclare que la suspension du statut catalan était illégale.

Le Président du Conseil veut rattraper le temps perdu. Presque tous les gouverneurs de provinces sont immédiatement remplacés par des partisans. FRANCO et GODET sont relevés de leurs fonctions à l'Etat Major ; le premier est envoyé aux Canaries et le second aux Baléares.

Dans le mois qui suit, soixante-quinze mille personnes seront installées sur des terres confisquées sans aucun ménagement. On oblige les employeurs, à réintégrer les ouvriers licenciés, mais aussi à leurs verser le salaire perdu et à garder les ouvriers embauchés à leur place. Le 4 avril AZAÑA convoque les nouveaux membres des Cortes et il expose la politique qu'il entend suivre : Il appliquera tout le programme du Front Populaire, dans un cadre légal et il fait un appel au calme(!!). Le 7 avril il fait arbitrairement destituer le Président de la République par l'Assemblée, accusé de "modérantisme ". (ALCALA ZAMORA partira finir sa vie en Suisse, complètement dégoûté par le comportement de ses concitoyens) Les catholiques et les libéraux sont chassés de l'Administration et de toute la scène politique. La presse est muselée. Les extrémistes exultent, ils ont tous les droits...

Il s'ensuit toute une série d'actes de violence, de meurtres, d'incendies, la plupart provoqués par l'ivresse de la victoire aux élections, par des actes de vengeance, mais aussi par des provocations de la falange. Cette falange ne compte à l'époque qu'environ vingt mille adhérents, mais elle est très active. Des "señoritos " comme on les appelle, parcourent les rues et les routes avec des voitures équipées de mitrailleuses. Ils entendent bien amplifier le désordre ambiant pour provoquer l'installation de leur propre régime de tendance fasciste. Ils font même une tentative d'assassinat sur la personne de GIMENEZ DE ASUA auteur de la Constitution Républicaine.

Les anarchistes de la F.A.I. et la C.N.T. eux, continuent à croire une qu'ils seront libres de toute contrainte politique. L'échec de la République les remplit d'une joie aussi grande que celle de la falange et ils la manifestent ostensiblement. Les pistoleros de ces deux groupements continuaient à travailler en commun, en particulier contre les socialistes

Le désaccord entre les deux syndicats U.G.T. et C.N.T., l'un socialiste et l'autre anarchiste, qui finissait le plus souvent en batailles lors des grèves, provenait de la rivalité entre LARGO CABALLERO et PRIETO Il avait atteint son point culminant dans ce début de 1936. Et alors que son groupe aidait AZAÑA à maintenir son pouvoir, LARGO CABALLERO parcourait l'Espagne faisant des meetings ou il annonçait l'imminence de la révolution (!). La "mentalizacion " était entretenue par les deux journaux CLARIDAD et EL SOCIALISTA respectivement dirigés par LARGO et PRIETO

La panique gagne les autres 50 % des espagnols. La peseta s'effondre; la fuite des capitaux s'accompagne de la fuite de leurs propriétaires. Une émigration massive commence.

Les droites ont tiré les enseignements de leur désunion aux élections. Après l'avoir regrettée, elles commencent à faire cause commune face aux dangers qui les menacent. La C.E.D.A., les officiers, les carlistes, les monarchistes, la petite et la grande bourgeoisie ainsi que les radicaux, comparent AZAÑA et son gouvernement à KERENSKY et l'apparition du bolchevisme dans la Russie de 1917. Ce n'est plus de la peur qu'ils ont, c'est de la terreur.

Et le nouveau gouvernement commet encore une erreur de stratégie : il a bien envoyé FRANCO et GODET en exil dans les îles, mais il envoie le général MOLA comme gouverneur militaire à Pampelune. (Avant de partir, ces trois généraux, le général VARELA et quelques autres se sont réunis et ont convenu que si AZAÑA, Président de la République, nommait LARGO CABALLERO Premier ministre ; si l'anarchie menaçait la Patrie, ils apporteraient leur soutien à une rébellion). La Navarre était le fief carliste et on peut se souvenir que sa jeunesse s'était entraînée et le faisait encore, aux guerres modernes ; les bérets rouges continuent à être arborés fièrement dans la rue.

MOLA se trouve tout à fait dans son élément et peut se mouvoir pratiquement comme il l'entend. C'est de Pampelune que partira ce que les uns appelleront le COMPLOT, les autres la CRUZADA (la croisade). La toile d'araignée commence à se tisser.

Le 27 février, le Gouvernement fait fermer le siège de la Falange, quelques jours après un falangiste veut se venger et dépose une bombe dans la maison de LARGO CABALLERO. AZAÑA convoque celui que l'on appelle familièrement JOSE ANTONIO, et avant de l'arrêter pour " détention illégale d'armes ", lui demande de quitter l'Espagne -" Je ne peux pas, lui aurait répondu le chef de la Falange, ma mère est malade"- AZAÑA le regarde incrédule -" Mais votre mère est morte depuis longtemps! "- -" Mi madre es ESPAÑA y no puedo abandonarla "-. Cette phrase: -" Ma mère est l'Espagne et je ne peux l'abandonner"- vraie ou fausse, renforcera considérablement son prestige dans les mois qui vont suivre. JOSE ANTONIO restera en prison jusqu'au moment où il sera fusillé par les républicains, mais toutes les Causes ont besoin de héros, et son nom servira certainement la sienne, beaucoup plus que s'il avait été libre.

Vers le début mars et en Estrémadure, des paysans qui pensent que la réforme agraire ne va pas suffisamment vite, commencent à prendre possession de propriétés et à se les partager en lots. A YUSTE, il se produit un violent accrochage entre les villageois qui reviennent de se partager une propriété et la " guardia civil " . On comptera une vingtaine de morts. Ce fait dramatique rappelle celui de CASAS VIEJAS, et le cas de CASAS VIEJAS avait largement contribué à faire perdre son crédit et les élections de 1933 à AZAÑA. Le Gouvernement n'interviendra plus et laissera faire tout et n'importe quoi dans les appropriations de terres.

Le 27 février, le KOMINTERN envoie des "instructions" à ses agents en Espagne. C'est tout un programme !

1: Destitution du Président de la République.
2: Formation d'un gouvernement en majorité communiste.
3: confiscation des biens de la bourgeoisie.
4: Organisation de milices.
5: Instauration de la terreur.
6: Destruction des églises et des couvents.
7: Création d'une armée rouge.
8: Création d'une psychose de guerre contre le Portugal pour favoriser l'instauration d'un régime soviétique dans toute la péninsule.

 

Ces "instructions" paraissent complètement inutiles tant les événements semblent aller dans ce sens. Les dépêches du journal " LE TEMPS "donnent ceci:

1er avril : Désordres dans les campagnes ; attaque d'une banque.
2 avril : Les droites décident de se retirer momentanément des Cortes.
3 avril : Désordres agraires.
Le 4:  Le fait est qu'en Espagne le succès électoral du Front Populaire est suivi d'une agitation pré-révolutionnaire, marquée par des troubles graves. Un autre fait est que le gouvernement de M. Azaña se révèle impuissant à mettre fin à ces troubles, parce que son action est sous l'emprise de ses alliés extrémistes.
Le 5, à Madrid, au cours d'un meeting, LARGO CABALLERO déclare qu'aux problèmes du pays, seul le marxisme pouvait apporter des solutions.
Le 6 : Les élections municipales, qui devaient avoir lieu, ont dû être ajournées. "
Le 8 : " La vie économique est paralysée. A la dépression produite par le triomphe du Front Populaire, il faut ajouter les mesures draconiennes prises par le gouvernement ainsi que les exigences exagérées des ouvriers.
Le 11 : Le bilan des attentats quotidiens, dont l'Espagne a été le théâtre durant le mois de mars, s'élève à cent cinq.
Le 13 : "A la suite d'un attentat commis contre un chef socialiste, la plèbe madrilène incendie les églises de San Luis, de San Ignacio et le journal La Nacion..
Le 14 : Après l'éclatement d'un engin explosif derrière la tribune officielle, des membres des Jeunesses socialistes tuent un sous-lieutenant de la Guardia Civil.
Le 16, lors de l'enterrement de ce dernier, des ouvriers maçons, du haut de leurs échafaudages, tirent sur le cortège funèbre. Il y a des morts et des blessés.
Le 1er mai, dans toute l'Espagne, se déroulent les manifestations rituelles. Cette fois, elles offrent un spectacle inaccoutumé. Les Jeunesses socialistes et les Jeunesses communistes, chantant L'Internationale, saluant du poing fermé, défilent, en bon ordre, les rangs serrés, au pas cadencé.


Le 14 avril, on célèbre le quatrième anniversaire de la république et une bombe explose derrière la tribune officielle. Dans la bousculade qui s'ensuit, les "asaltos" tuent un lieutenant de la Garde Civile, croyant l'avoir vu braquer une arme sur AZAÑA. L'enterrement de cet officier sert à faire une démonstration de force. Tous les falangistes qui sont encore en liberté suivent le corbillard. Des socialistes, chantant l'internationale, tirent sur le cortège et l'enterrement dégénère en bataille rangée.

Un cousin germain de José Antonio, SAENZ DE HEREDIA est l'un des douze morts de cette journée qui apportera de terribles conséquences. Il a été tué par un lieutenant des "Asaltos" JOSE CASTILLO et ce nom ne sera pas oublié

C'est à ce moment là que se produit la fusion des jeunesses communistes et des jeunesses socialistes, mais aussi de la CEDA et la Falange. Une Falange qui voit ses adhérents se multiplier à une vitesse record et qui doit déjà atteindre les 75.000.

Les militaires en Navarre pour MOLA et, à partir du Portugal pour SANJURJO, continuent le tissage de leur toile.....

Début mai une rumeur se propage à Madrid : Un "curé " aurait donné des bonbons empoisonnés à des enfants ! Qui a lancé cette rumeur ? D'où est-elle partie ? Peu importe, elle a le résultat que l'on peut imaginer. La foule se rue sur tout ce qui rappelle un curé. Pratiquement tout ce qui reste d'églises ou de couvents est saccagé ; les prêtres, les religieuses molestés, insultés ; on leur crache à la figure. Désormais ils n'ont plus qu'une alternative : se terrer, raser les murs, essayer de passer inaperçus.

J'ai lu quelque part qu'une religieuse, pour pouvoir rentrer chez ses parents sans être agressée, quitta ses habits, mais ne put trouver d'autre déguisement que les vêtements d'une prostituée. Arrivée chez elle, sa famille ne crut pas sa version et la frappa jusqu'à la mort.

Le 10 mai Manuel AZANA est élu Président de la République et il nomme Premier ministre un ami personnel : CASARES QUIROGA. Celui-ci et les autres membres du gouvernement ne feront que suivre ses directives, mais trop de promesses n'ont pu être tenues, trop d'espoirs ont été déçus. Il n'y a plus de réel pouvoir et le chaos est complet. Dans l'Histoire, toutes les révolutions finissent en dictatures et l'ESPAGNE s'y dirige à grands pas ! .

Dans les usines, les mines, les bureaux, les grèves s'enchaînent les unes aux autres. En campagne, les paysans s'installent sur des terres qu'ils choisissent eux mêmes.

Condamnée et maudite par la droite, la République commençait à l'être par la gauche. Le 14 juin LARGO CABALLERO tonne: -"La révolution ne peut se faire que par la violence. Les républicains doivent s'en aller et laisser la place à la "classe ouvrière"-(!)

Mais il y a bien plus grave encore. Il y a les vociférations de Margarita NELKEN, cette députée socialiste d'origine allemande : -"Nous voulons une révolution, mais ce n'est pas la révolution russe qui peut nous servir de modèle, car ce qu'il nous faut, ce sont des flammes gigantesques que l'on puisse voir de la Terre entière et des vagues de sang qui teinteront de rouge toutes les mers du monde "-

Une autre femme s'illustrera pendant cette période. DOLORES IBARRURI, que l'on connaîtra sous le nom de "LA PASIONARIA " est née à Bilbao en 1895 et toute jeune, elle a été une fervente catholique. Plus tard elle a épousé un mineur asturien, un des premiers fondateurs du parti communiste espagnol, qui disparaîtra complètement, gommé par la personnalité de sa femme. Comment, cette jeune fille qui vendait des sardines de villages en villages, les portant sur sa tête dans un panier, était arrivée à manier les mots d'une façon aussi remarquable ? Son fameux " no pasaran " et son discours d'adieu aux Brigades Internationales resteront à jamais dans les mémoires. Ses paroles; le ton employé, savamment dosé ; ses silences méticuleusement mesurés, scientifiquement pesés, vont aller jusqu'au fond des tripes des gens simples. Ses harangues dans les meetings ou à la radio, toujours précédées et suivies de la musique adéquate, vont faire bouillonner le sang dans les veines de ses auditeurs et, plus encore, de ses auditrices. La droite disait qu'elle était arrivée à la notoriété en exhortant les femmes à avoir des enfants sans s'embarrasser d'un homme. Cette même droite l'accusera d'avoir égorgé un prêtre avec ses dents comme seule arme. Toujours habillée de noir, le visage grave, les Espagnols de gauche la considéreront comme une sainte révolutionnaire ; ceux de droite comme une dangereuse criminelle.

Il est certain que la portée exacte de tels discours sur un auditoire composés de plus de 65 % d'analphabètes est incalculable. ( Le mot analphabète est prononcé par moi, sans aucun sens péjoratif. Bien au contraire!) Les morts qu'ils auront causées ne peuvent pas se comptabiliser, mais quel déferlement de haine auront-ils contribué à créer ! . En 1936 elle est députée communiste.

Un déferlement de violence s'est étendu sur tout le pays et tandis que la classe politique de gauche se livre à une guerre de chefs, la droite se resserre de plus en plus. Les anarchistes de la FAI et de la CNT s'infiltrent dans chaques bagarres, au besoin les provoquent. La Falange de son côté n'hésite pas à en faire autant. Les deux groupes recherchent, pour des raisons complètement différentes, la destabilisation du pays. Aux Cortes les députés sont fouillés avant de rentrer dans l'hémicycle.

PRIETO, socialiste modéré, et LARGO CABALLERO qui penche chaque jour un peu plus vers l'extrême, entraînent chacun dans son camp une partie de leurs sympathisants.

Chaque jour les journaux, que l'on arrive difficilement à faire taire, offrent aux lecteurs plusieurs pages de fusillades, attentats, grèves, conflits sociaux, bagarres de tous genres, viols, attaques à main armée.

A la tribune de la Chambre, GIL ROBLES dénonce ce qu'il dit être les causes de l'ef¬froyable crise que traverse le pays : le Gouvernement dispose de pouvoirs exceptionnels, il contrôle la presse et peut suspendre, à tout moment, les garanties constitutionnelles. Malgré cela sur les quatre mois qui se sont écoulés depuis les élections 160 églises ont été détruites par des incendies. Il y a eut 269 assassinats (Un député socialiste hurle -"la plupart on été faits par vos amis"-) en grande majorité politiques. 1287 agressions ; 69 centres politiques ont été saccagés ; il y a eu 113 grèves totales et 228 partielles et 10 journaux ont été complètement dévastés et pillés. Et GIL ROBLES termine –« Ne nous faisons pas d'illusions ! Un pays peut vivre en monarchie ou en république, sous un régime parlementaire ou présidentiel, dans le communisme ou le fascisme ! Mais il ne peut pas vivre dans l'anarchie ! Or, aujourd'hui malheureusement, l'Espagne est dans l'anarchie ! Et nous assistons à l'enterrement de la démocratie ! »

Des hurlements jaillissent de toutes parts et dans la salle entière. Les uns sont des cris d'indignation, les autres d'approbation accompagnés d'interminables applaudissements. On s'échange des insultes et des menaces, DOLORES IBARRURI aurait dit -"Cet homme ne mourra pas dans son lit"-

CALVO SOTELO à la tribune quelques jours plus tard:

-" Lorsque la vie n'est plus en sécurité ; lorsque de tous côtés on brandit la menace ; lorsque la foule crie : Patrie, non ! Patrie non ! ; Quant au cri de vive l'Espagne on crie vive la Russie ! ; quand on tourne en dérision tout ce qui a été l'honneur de l'Espagne, on se demande s'il est possible de garder son calme Quand j'entends parler du danger des généraux monarchistes, je sourie un peu, car je ne crois pas qu'il y ait, dans l'armée espagnole, un seul soldat qui soit prêt à se dresser, au nom de la monarchie, contre la République. S'il y en avait un, il serait fou - je le dis avec sincérité - oui réellement fou, comme serait fou tout soldat qui, devant l'éternité, ne serait pas prêt à se dresser au nom de l'Espagne contre l'anarchie - si c'était cela qui était nécessaire"-

Calvo Sotelo se lève à nouveau: "- Du 16 février au 2 avril voici ce qui s'est passé: 58 attaques et destructions de centres politiques, 72 d'établissements publics ou privés, 33 de domiciles particuliers, 36 destructions d'églises.-"
Continuellement interrompu, il continue néanmoins: "- Incendies de centres politiques 12; d'établissements publics ou privés 45; de domiciles particuliers 15; d'églises 106, dont 56 complétement détruites; grèves générales 11; agressions 65; attaques 24; blessés 345; morts 74.

C'est trop peu puisque vous êtes encore là ! crie quelqu'un dans la salle.
-"Et ce n'est que le début"- hurle Margarita Nelken

Un officier de carabiniers, JOSE MUÑOZ VIZCAINO déclarera plus tard, avoir entendu dire au commandant LUIS BARCELO, aide de camp du Premier Ministre, que son patron ferait " descendre " CALVO SOTELO. Ce qui paraît être confirmé est que CASARES aurait dit que l'assassinat de CALVO SOTELO ne constituerait pas un délit.

Ces séances houleuses des Cortes vont dresser encore plus, s'il en était possible, les deux Espagnes l'une contre l'autre.

Les journaux, du moins ceux qui restent encore, et les journaux étrangers continuent leurs listes de calamités :

Le 2 juillet (36) à Madrid : Dans un bar ou se réunissaient souvent des jeunes falangistes, des individus se sont présentés à la porte et ont ouvert le feu sur les consommateurs. Bilan, deux morts et plus de dix blessés.

Le 5 : des villages entiers se sont divisés en deux camps et se sont massacrés mutuellement.

Le 9 : des non-grévistes se battent à coups de couteaux et avec des revolvers contre des piquets de grèves.

Le 10 : Des communistes se battent contre des socialistes.

Le 11 : Des falangistes attaquent une station de radio et diffusent des slogans anti-républicains pendant plus d'une heure et annoncent que la " révolution nationale - syndicaliste " va bientôt éclater.

Le 13 : Tous les journaux d'opposition sont saccagés et brûlés.

Que peut faire le gouvernement ? On ne sait plus qui commande, plus personne n'obéit. Le désastre politique est grand, mais le désastre économique l'est encore bien plus.

L'Armée continue sa stratégie. MOLA peaufine ses plans : Il prendra le commandement de Pampelune et Burgos, QUEIPO DE LLANO, commandant des " carabineros " s'occupera de Séville, le général SALIQUET de Valladolid, le général VILLEGAS de Madrid et GONZALEZ CARRASCO de Barcelone (Ces deux derniers ne savent pas ce qui les attend) le général GODED prendra le commandement de Valence, CABANELLAS à Saragosse, FRANCO qui a longtemps hésité avant de s'engager, commandera l'armée d'Afrique.

L'expérience du général SANJURJO a-t-elle servi de leçon ? Les villes ne sont réparties qu'entre des officiers jouissant d'une totale confiance. De sa prison, José-Antonio a promis au général MOLA son plus loyal appui et quatre mille falangistes dés le début de l'insurrection. Les carlistes ont été plus durs à convaincre, mais finalement ils ont fini par s'y rallier.

Un plan " civil " accompagne le complot militaire, mais il ne verra jamais le jour. Un directoire composé de cinq membres, prendrait provisoirement le pouvoir, avant de procéder à de nouvelles élections. Le but recherché est d'éloigner du pouvoir les éléments les plus extrémistes. Personne ne parle d'un changement de régime. On ira même jusqu'à proposer de garder le drapeau républicain. MOLA et FRANCO se disent " catholiques " ou, tout au moins affirment défendre la religion catholique, les trois autres sont francs-maçons.

On a écrit que FRANCO, le 25 juin 1936, aurait envoyé des Canaries, une lettre au Premier ministre CASARES QUIROGA, le mettant en garde contre les mesures relevant de leurs fonctions les officiers connus pour leurs opinions non révolutionnaires. Sans parler de l'atteinte qu'elles portaient au moral de l'Armée, ces mesures laissaient du temps libre à ces officiers pour se consacrer à toutes sortes d'activités. Un complot était en train de se mettre en place, presque au grand jour, et la subversion venait de la part de ces officiers.

CASARES aurait mis cette lettre dans un tiroir et n'aurait prêter aucune attention à cet avertissement. Ce n'est qu'alors que FRANCO aurait donné son adhésion à MOLA. Plus tard il aurait dit qu'il avait voulu donner sa dernière chance au Gouvernement et qu'il avait tout essayé pour évité le pire. Ce n'est qu'après s'être convaincu que celui-ci ne voulait rien faire, qu'il s'était décidé. (?!)

Si l'Armée préparait un coup d'état, on a affirmé qu'une partie de la gauche préparait le sien. Trois documents auraient été découverts à LORA DEL RIO et publiés par la suite à plusieurs reprises. Le Diario de Navarra en parlait déjà le 7 août 1936, et à cette date la propagande de guerre n'existait pas encore.

1: Un "projet" avec les dates du 11 mai et 29 juin 1936, prévoyait la création d'un Soviet Central, présidé par LARGO CABALLERO, assisté de quelques dirigeants communistes locaux.

2: Des "instructions générales pour le déclenchement d'un coup d'état"

3: Un compte-rendu d'une réunion tenue le 16 mai 1936 à Valence par des chefs du parti communiste.

Si l'authenticité de ces documents ne paraît pas faire de doute, il en serait resté au stade de projet (ou peut-être aura-t-il été devancé par l'Armée ?). Pourtant il aurait suffit de très peu de chose pour que les communistes s'emparent du pouvoir sans aucun problème.

Cette Espagne n'est décidément pas prête pour la démocratie. Ce fichu caractère espagnol finira-t-il par comprendre un jour que la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres?!

Pauvres espagnols ! En 1932 une partie des dirigeants de la droite battue aux élections tentait un coup d'état, comme l'Espagne en avait l'habitude, par l'intermédiaire du Général SANJURJO. En 1934, ceux de la gauche battue à leur tour, avait poussé la classe ouvrière à faire une révolution. Une révolution qui triompha momentanément dans les Asturies, mais se termina par la mort d'environ cinq mille personnes. Maintenant, le Front Populaire a gagné les élections, mais au nombre de voix, sa victoire a été tellement mince que les deux blocs se croient être à égalité de forces. Tous les deux, aussi, se croient en danger d'asphyxie et de mort. Le peuple lui, de droite comme de gauche subit la guerre des chefs. On va bientôt les lancer dans des bains de sang où l'on se massacrera entre familles, entre frères, entre beaux-frères, entre pères et fils.

1808, 1834, 1868, 1898, 1909, 1917, 1923, 1931, 1932, 1934, sont des dates où des espagnols ont poussé d'autres espagnols dans des luttes fratricides pour conquérir le pouvoir ou pour faire triompher leurs idées.

L'Espagne unie " DONDE NUNCA SE PONE EL SOL" (où le soleil ne se couche jamais) n'est plus qu'un très, très lointain souvenir.

Le 1er juillet, CASARES QUIROGA fait publier une note -" Etant donné l'autorité ( ! !) et la légitimité dont il dispose, le gouvernement reste impassible devant les rumeurs d'une insurrection violente de la part d'une fraction minoritaire de l'Armée"-

PRIETO, lui, a bien senti le danger, mais on lui répond que si un "movimiento" devait se produire, il serait rapidement étouffé.

G. ROUX : -" En France, en juillet 1830, Charles X ; en février 1848, Louis - Philippe ; en décembre 1851, les députés de l'Assemblée Nationale, devant les avertissements, haussaient les épaules. Le pouvoir dresse un écran entre les gouvernants et les gouvernés ; aussi aboutit-il à une déformation de l'esprit des dirigeants. Du moment que ces messieurs plastronnent dans les salons dorés des palais feutrés où ils vivent, entourés de nantis, bercés par le ronronnement des courtisans, c'est que tout va pour le mieux du monde. Les mécontents ne sont que des trublions"-

Dans les débuts de juillet 1936, il y a une grève dans le bâtiment. Comme d'habitude la CNT et l'UGT ne sont pas d'accord, la première voulant qu'elle se poursuive, la deuxième qu'elle cesse. Il y a, en plus, la grève de garçons de café, celle du personnel des ascenseurs, celle du personnel affecté aux "corridas". Tous les jours se produisent des crimes plus ou moins politiques. En fait, c'est souvent des règlements de comptes entre bandes rivales, le plus souvent entre anarchistes et falangistes. Même l'Armée commence à se diviser en deux camps, chacun tenant des réunions séparées. Ces anciens compagnons d'armes aussi, vont bientôt s'entre-tuer. De leur côté MOLA et FAL CONDE représentant les Carlistes, n'arrivent pas à s'entendre pour une question de drapeau.

Le 12 juillet le lieutenant des "Asaltos" José CASTILLO, (rappelez-vous, celui qui avait tué SAENZ de HEREDIA, cousin germain de José Antonio, le 14 avril, à l'enterrement d'un officier de la garde civile) rentre chez lui après sa journée de service. (Les falangistes avaient juré qu'ils se vengeraient et la veille de son mariage, célébré au mois de juin, sa future épouse avait reçu une lettre lui disant qu'elle allait épouser un cadavre). Alors qu'il arrive devant son domicile, quatre hommes s'approchent de lui, l'abattent à coups de revolver et s'enfuient.

En quelques minutes, une foule de gens s'attroupe autour du cadavre. On le porte jusqu'à sa caserne. Sortie de je ne sais où, la foule grandit, les poings se lèvent, menaçants. Des hurlements proposent une vengeance immédiate et un ratissage des rues à la recherche de falangistes. Quelques Asaltos armés montent rapidement en voiture et parcourent les rues. Mais le capitaine de la garde civile CONDES - qui avait été révoqué en 1934 pour ses idées de gauche et venait d'être réintégré par CASARES - a quelque chose de mieux à proposer : Se venger sur les chefs de l'opposition, plutôt que sur leurs troupes.

Cela, c'est une version ; mais il y en a plusieurs autres :

La journée du 13 juillet est longue. On arrête le capitaine MORENO qui était dans la voiture cherchant GIL ROBLES ainsi que quelques soldats (ils seront sans doute relâchés puisque MORENO sera tué pendant la guerre beaucoup plus tard). On fait fermer les sièges des monarchistes, des carlistes et des anarchistes. Le parti communiste se déclare solidaire du Gouvernement. Des délégations représentant la gauche, menées par PRIETO pourtant réputé comme modéré, exigent de CASARES que les armes soient distribuées, mais celui-ci s'y refuse.

Les miliciens des partis de gauche avaient pourtant déjà toutes les armes disponibles dans leurs arsenaux. Armés jusqu'aux dents, ils montent la garde devant tous les bâtiments publics. Pendant ce temps, les dirigeants de la droite se demandent qui sera le prochain mort. C'est l'assassinat de CALVO SOTELO qui décide FAL CONDE à signer l'adhésion des carlistes au "mouvement" de MOLA.

Le lendemain, il y a deux enterrements à MADRID. Les premiers est celui du lieutenant CASTILLO. Une foule immense salue le cercueil recouvert d'un drapeau rouge, le poing levé.

Quelques heures plus tard, c'est le tour de celui de CALVO SOTELO. Cette fois un public encore plus nombreux salue son corps, avec le bras tendu, à la façon fasciste. GOICOECHEA, ami et second de CALVO, s'adressant à cette foule survoltée, jure devant Dieu et devant toute l'Espagne, que son camarade sera vengé.

Le peuple est chauffé à blanc.

Avez-vous déjà vu un combat de coqs ? Les deux propriétaires tiennent chacun le sien, ils les excitent en simulant l'attaque ; ils les éloignent et les rapprochent presque jusqu'au contact. Ils ne les lâchent qu'au moment où ils sentent qu'ils sont prêts et seulement à ce moment là......Le moment était venu. La tension était celle là, la guerre pouvait commencer...

Les journaux YA et LA EPOCA qui ont publié des articles relatant l'assassinat du parlementaire, sans les avoir soumis à la censure, sont suspendus par le Gouvernement. Les sessions aux Cortes sont ajournées pour tenter d'apporter un peu d'apaisement, mais la droite proteste et menace de quitter complètement le Parlement.

L'Espagne profonde ne mesure pas l'abîme dans lequel on l'a plongée ! Désormais c'est le règne de la terreur et la terreur engendre la folie !

En quelques heures, tout ce qu'il y a de notables, bourgeois et hommes en vues quitte Madrid pour des villes plus sûres ou même à l'étranger.

Les militants d'extrême gauche sont heureux. Ils exultent ! : Le geste de CONDES et ses complices ne manquera pas de susciter un réflexe de défense de la part des libéraux, des monarchistes, des catholiques et des républicains modérés. Si un mouvement de rébellion doit se déclencher, tant mieux ! . On le brisera rapidement et désormais la voie sera libre pour la révolution totale !

De leur côté, les généraux pensent qu'il faut profiter de l'indignation et l'émotion qu'a soulevé, dans tout le pays, la mort préméditée du dirigeant de la droite. Ce geste quasiment officiel ne peut que présager l'imminence d'un coup d'Etat marxiste. Il faut agir vite, profiter de la réprobation générale ! Demain il sera trop tard !

Des télégrammes partent, rédigés en codes. L'insurrection est pour le 18 juillet à 17 heures.

Le carnage va commencer !


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