Lettre pastorale du Cardinal SEGURA, archevêque de Toledo le 7 mai 1936.
Pedro SEGURA Y SÁENZ, (1880-1957) était né
le 4 décembre 1880. C’est un personnage très controversé,
avec ses fidèles inconditionnels et ses détracteurs acharnés.
Si l’on fait une synthèse objective ou si l’on essaie de
porter un regard neuf sur lui sans aucun parti pris, on s’aperçoit
qu’il a, comme tout le monde ses bons et mauvais côtés. Il
était extrêmement ambitieux et rigide. Il aurait voulu que tous
les chrétiens, mais aussi les autres, soient des saints. Une telle rigidité
était perçue comme une dictature. Dictature à peine effacée
par sa grande culture, son éloquence et son charisme.
Ses détracteurs le disent ambitieux. Depuis le séminaire, ses
confrères auraient constaté son ambition. Pedro cherchait toujours
la compagnie des plus « grands » et ne les fréquentait guère.
Cette ambition et ses relations lui auraient fait gravir rapidement les échelons.
En politique, il ne montra guère d’enthousiasme pour la dictature
de Primo de Rivera, mais essaya de côtoyer le roi à qui il trouvait
toutes les vertus. (Après la victoire de Franco, il entra tout de suite
en conflit avec celui-ci à propos du pardon dû aux vaincus
principalement, puis bien d'autres par la suite).
Il est communément admis –à tort ou à raison-
que son homélie fut le détonateur de la journée de violences
qui se déclenchèrent le 11 mai 1931. Ce jour-là des centaines
et des centaines d'édifices religieux (églises, maisons de retraite,
écoles, couvents) furent saccagés et incendiés. Elle provoqua
aussi l'expulsion du territoire espagnol à son auteur.
Mais en lisant sa lettre pastorale et en regardant ces événements
dans le contexte d’aujourd’hui, on peut se rendre compte que ses
contemporains avaient une curieuse conception de la démocratie.
Le 7 mai 1931, il était cardinal archevêque de
Toledo à tout juste 50 ans. Sa grande culture et son charisme le plaçaient
comme un des personnages les plus en vue de la hiérarchie catholique
en Espagne. Comme tout citoyen, il avait ses opinions politiques et était
inquiet de la tournure que prenaient les événements.
Dés début du mois de mai, le gouvernement provisoire l'accusa
d'être en train de gêner le régime et d'avoir des intentions
de faire connaître ses désaccords et ses divergences de vues avec
lui à des fins politiques.
Le 1er mai il aurait signé cette lettre pastorale qui fut reprise dans
un journal local de l'archevêché. Puis la presse nationale s'en
empara. Dans cette lettre il aurait violemment attaqué la toute récente
République. Pourtant, on évita –et pour cause- de la publier
in extenso. On la sortit de son contexte, on prit des phrases tronquées,
entrecoupées de commentaires. Certains journalistes prirent la liberté
de les terminer eux-mêmes. Ils leur donnèrent la signification
qu'ils prêtaient au cardinal sans aucune objectivité. Certains
affirmèrent que le cardinal aurait dit : Que la malédiction
de Dieu tombe sur l’Espagne si la République devait s’enraciner
en elle. S’il était l’homme froid et calculateur tel
qu’on l’a décrit, il paraît impensable qu’il
ait pu dire cela dans une homélie ou une lettre pastorale s’adressant
aux fidèles sachant que ces propos seraient repris publiquement. Et cela
même si, éventuellement, elles correspondaient à ses pensées
profondes et personnelles.
La principale phrase incriminée fut celle-ci :
Si nous restons calmes et oisifs, si nous
nous laissons entraîner à l'apathie et la timidité ; si
nous permettons que la voie soit ouverte à ceux qui tentent de détruire
la religion, ou si nous comptons sur la bienveillance de nos ennemis pour assurer
le triomphe de nos idéaux, nous n'aurons pas le droit de nous lamenter
quand l'amère réalité nous montrera que nous avions la
victoire en mains, mais que nous n'avons pas su combattre comme d'intrépides
soldats prêts à succomber glorieusement"- (NDR
: notre traduction diffère un peu. Voir plus loin)
Voici sa lettre pastorale in extenso pour que chacun puisse en tirer ses propres conclusions. (Afin de ne pas faire des interprétations hasardeuses ou qui pourrait laisser croire qu’elles sont tendancieuses, la traduction est le plus littérale possible. Cela provoque quelques accrocs au français) Autre précision : quand le cardinal dit "nous", il peut s'agir uniquement de lui. C'est (ou c'était) la règle.
Cette lettre s'adressait uniquement au clergé et aux
fidèles du diocèse, elle était composée de cinq
points principaux : un regard sur le passé; la gravité du présent;
les devoirs des catholiques envers la religion; devoirs des catholiques envers
le gouvernement provisoire et les devoirs des catholiques dans leurs actes politiques.
Lisons :
Vénérables frères et mes très
aimés fils. Les événements que nous connaissons tous ont
créé un nouvel état de choses dans notre Patrie qui impose
à tous les catholiques de très graves devoirs. Nous savons que,
dans ces moments difficiles, vous attendez de nous des orientations et des directives
qui vous indiquent clairement le chemin de votre devoir. C’est ainsi,
que beaucoup vous nous l’avez manifesté, certains avec une impatience
justifiée par la gravité de la situation, mais que nous ne pouvions
partager, parce-que, dans des moments aussi critiques que les présents,
il était nécessaire, plus que jamais, de prier et méditer,
pondérer le temps et les circonstances et donner lieu à que, tempérées
les angoisses, la prudence et la réflexion conseillent le plus opportun.
C’est pour cela que nous n’avons rien dit et souffert en silence
des insinuations et même de grossières calomnies sans nous écarter
de la ligne de conduite que nous nous étions tracée, mettant notre
confiance en Dieu, qui connaissant la rectitude de nos intentions et l’amour
que nous ressentons envers l’Eglise et envers notre Patrie, sera toujours
notre meilleur bouclier et notre plus ferme défense. Aujourd’hui
est arrivée l’heure de nous exprimer et nous le ferons avec une
sincérité absolue et avec la clarté nécessaire pour
que, ceux qui militaient dans les légions de paix de l’Eglise catholique,
ayez des normes sûres qui vous indiquent, dans ces moments d’obscurité
et de confusion, le chemin que vous avez à suivre.
Les commotions les plus violentes des peuples, même si elles peuvent changer
le cours de l’Histoire, ne suffisent pas pour rompre le fil de la tradition.
Les jours d'aujourd'hui sont les enfants de ceux d'hier et les grands événements
que signalent les nouvelles directions de la vie des nations ne s'engendrent
pas subitement sinon qu'ils viennent d'une longue préparation et ont
de profondes racines dans d'autres faits, peut-être très lointains,
et que par des chemins cachés aux yeux des hommes, mais patents à
la divine Sagesse, continuent d'influer d'une façon efficace pendant
des siècles.
L'Histoire d'Espagne ne commence pas cette année. Nous ne pouvons renoncer
à un riche patrimoine de sacrifices et de gloires cumulés par
une longue série de générations.
Les catholiques, particulièrement, ne pouvons oublier que dans l’espace
de nombreux siècles, l’Eglise et des institutions aujourd’hui
disparues, ont cohabité sans se confondre et sans s’absorber et
que, de son action coordonnée, naquirent des bénéfices
immenses que l’Histoire impartiale a écrit avec des lettres d’or.
L’Eglise ne peut lier son sort aux vicissitudes des institutions de ce
monde. Celles-ci muent, l’Eglise reste, celles-ci sont périssables,
l’Eglise est immortelle.
Mais l’Eglise ne renie pas son œuvre. En temps d’anarchie elle
a consolidé, par son autorité, le pouvoir réel, et avec
cela elle a rendu des services inestimables à la cause de l’ordre
et du progrès, de façon qu’ont dû reconnaitre mêmes
les historiens adverses au christianisme.
Quand de nouvelles circonstances firent nécessaires de nouveaux changements
dans le gouvernement de la Nation, l’Eglise, sans descendre se mêler
aux combats ni aux rivalités, continua à exercer sa mission de
paix, et le bien public trouva en elle un solidissime bastion.
Fréquemment, dans l’espace de longs siècles, elle a du défendre
son indépendance contre les immiscions du pouvoir civil et, en plus d’une
occasion, elle a du rappeler leurs devoirs aux gouvernants qui les oubliaient,
mais elle a toujours respecté la forme de gouvernement que la Nation
s’était donnée à elle-même.
Nous n’avons pas de raisons d’occulter que, si bien dans les relations
entre l’Eglise et le pouvoir civil il y a eu des parenthèses douloureuses,
la monarchie, en général, fut respectueuse des droits de l’Eglise.
Le reconnaître ainsi est un tribut dut à la vérité,
surtout quand on rappelle avec fruition les erreurs et on oublie les succès
et les bienfaits. L’Espagne, et en particulier notre archidiocèse,
sont pleins de monuments qui témoigneraient si nous nous taisions.
Qu’il nous soit licite d’exprimer ici un souvenir de gratitude à
sa Majesté Alphonse XIII, qui durant son règne sut conserver l’ancienne
tradition de foi et de piété de ses ainés. Comment oublier
sa dévotion au Saint Siège ? Et, que ce fut sa majesté
qui consacra l’Espagne au Sacré Cœur de Jésus ?
Et les tolédans, laissant de côté d’autres événements,
nous nous souviendrons toujours de ce jour où Il posa son bâton
de commandement aux pieds de notre Dame de Guadalupe et de cet autre du mois
d’octobre dernier dans lequel, assistant au Concile provincial célébré
à Tolède, me fit évoquer d’autres glorieux conciles
tolédans qui laissèrent de profonds sillons dans notre vie nationale.
La noblesse et la gratitude demandaient ce rappel : il a toujours été
très chrétien et très espagnol de rendre allégeance
à la majesté tombée, surtout quand le malheur éloigne
l’espérance de bienfaits et le soupçon d’adulation.
Gravité de l’heure présente.
Pour estimer la gravité des moments actuels, il
nous suffira de transcrire ici les paroles que nous avons laissées écrites
le 27 février de la toute proche année dernière.
Nous sommes tous persuadés, disions-nous alors, que les instants actuels
sont d’une grave transcendance pour l’avenir de notre Patrie.
Il est vrai que, même dans les circonstances les plus difficiles de notre
histoire, une palpable protection du ciel nous a sauvés avec une singulière
providence de très graves risques, clair indice de soins affectueux auxquels
nous devons correspondre avec une filiale gratitude. Veille sur nous la très
sainte Vierge qui voulut prendre possession de notre sol aux bords de l’Ebre
et nous laisser, comme un perpétuel souvenir de son influence et de son
aide, la basilique du Pilar de Saragosse. Nous avons aussi la promesse consolatrice
que le Sacré Cœur de Jésus fit au P. Bernardo Hoyos de «
régner en Espagne et avec plus de vénération qu’ailleurs
». Mais notre devoir n’est pas de tenter Dieu ; avant nous devons
essayer, avec un comportement intensément chrétien, d’envisager
les maux qui paraissent s’avoisiner, en attirant sur notre Patrie les
bénédictions du ciel.
Il n’est pas nécessaire de s’abaisser dans les détails
qui seraient délicat d’aborder et, que d’un autre côté,
sont connus de tous. Il suffit de dire la gravité du moment présent
par rapport à un avenir aussi incertain qui s’entrevoit, et qui
ne se circonscrit pas seulement à la situation politique, sinon qu’elle
touche l’ordre social et au moral et religieux.
Mais la situation qui émeut les mimes est une partie, sans doute, pour
que ceux-ci se préoccupent plus immédiatement des futures directions
politiques de la Patrie. Les uns et les autres avec une fébrile activité
se préparent à prendre des positions pour la défense de
leurs idées et intérêts. Les anciens partis se réorganisent
; on annonce la formation d’autres nouveaux ; se préparent des
unions et des fédérations circonstancielles pour additionner des
forces : indice tout cela que nous nous trouvons à la veille d’une
intense lutte politique.
Ni mêmes les plus avisés et prévoyants peuvent conjecturer
les conséquences qu’aura cette lutte, non seulement dans l’ordre
politique, sinon dans le social et très principalement dans le religieux.
Mais qu’il en soit d’une façon ou d’une autre, il faut
se le tenir pour certain que, même en considérant que ce dernier
aspect, l’heure doit se qualifier de grave.
Les faits ont confirmé tout ce que nous avions écrit alors. Quelques
dispositions récentes en préjudice des droits de l’Eglise
et d’autres plus graves qui s’annoncent et que, parce qu’elles
sont connues de tous, nous n’énumérons pas, donnent aux
heures actuelles une gravité extraordinaire et imposent à la conscience
de tous les catholiques espagnols une gravissime responsabilité qu’ils
ne pourront éluder ni face à l’Histoire de l’Eglise,
ni, ce qui est plus important, face au Tribunal de Dieu.
Devoirs religieux des catholiques à l’heure présente.
Il est nécessaire d’insister de façon
urgente sur les devoirs religieux des catholiques à l’heure présente.
L’arme puissante, invincible, dans tous les besoins temporels et spirituels,
ceux des individus comme ceux des peuples, c’est l’arme de la prière
quand celle-ci réunit toutes les conditions que lui enseigna le Divin
Maître.
En Espagne dans ces moments difficiles il n’y a pas eu et il n’y
a pas assez de prières et il ne s’est pas fait la pénitence
des graves péchés avec lesquels on a provoqué la Justice
Divine. Il est nécessaire un changement de conduite si on veut arriver
au triomphe de la bonne cause. Nous nous laissons dominer par l’esprit
de naturalisme qui nous enveloppe et nous avons trop confié le succès
de notre entreprise à des moyens humains alors qu’il faut chercher
en Dieu Notre Seigneur le remède de tous nos maux.
Nous croyons donc indispensable que s’organise, principalement par les
dames catholiques, une croisade de prière et de sacrifices pour implorer
du ciel le secours dont nous tant besoin en ces moments.
Pourront prendre cette charge avec grand profit, sous la direction des révérends
curés, les dames qui, d’une façon ou d’une autre,
militent sous les étendards de l’Action Catholique. Leurs champs
d’actions sont extrêmement vastes, promouvant avec toute intensité,
non seulement les prières privées pour les besoins de la Patrie,
sinon des actes solennels de culte, des rogations publiques, des pèlerinages
de pénitence et utilisant les moyens traditionnellement utilisés
dans l’Eglise pour implorer la divine miséricorde, conformément
à ce que nous avons prévu dans notre circulaire du 15 avril.
Devoirs des catholiques par rapport au gouvernement provisoire
Il est innecessaire, parce que su par tout le monde, de
faire constater que l’Eglise n’a aucune prédilection pour
une forme particulière de gouvernement.
On pourra discuter sur le terrain des principes philosophiques si tel ou tel
parti est le meilleur, et il se peut qu’entre les philosophes chrétiens
il y est une certaine unanimité à préféré
un parti déterminé, mais l’Eglise, sur ce point, a réservé
son opinion. Et il est normal qu’il en soit ainsi puisqu’on ne peut
pas déterminer la meilleure façon de gouverner sur des principes
philosophiques, sinon en prenant en compte la multitude de circonstances de
lieux, de temps et de personnes. La tradition, l’histoire, la nature et
le tempérament de chaque peuple, sa culture et ses us et coutumes, son
état social et jusqu’à sa géographie et les circonstances
externes qui l’entourent, peuvent rendre préférable une
forme de gouvernement qui, théoriquement, n’est pas la plus parfaite.
La finalité directe de l’autorité civile étant de
promouvoir le bien temporel de ses sujets il n’appartient pas à
l’Eglise, qui a un objectif beaucoup plus élevé, de descendre
dans un champ où se débattent des intérêts qui, même
très respectables, sont d’un ordre secondaire.
Mais ce n’est pas pour cela qu’elle se désintéresse
entièrement du bien temporaire de ses enfants. Sa mission est une mission
de paix et pour entretenir la paix, qui est le fondement du bien public et condition
nécessaire de progrès, elle est toujours disposée à
collaborer, à l’intérieur de son rayon d’action, avec
ceux qui exercent l’autorité civile. Mais, à son tour elle
demande que celle-ci respecte les droits qu’octroya à l’Eglise
son Divin Fondateur et que toujours à l’intérieur de son
rayon d’action du pouvoir temporaire, l’aide, en parfaite concorde,
à l’accomplissement de sa très haute mission.
A la lumière de ces principes, il est facile de déterminer quels
sont les devoirs qui concernent les catholiques envers le gouvernement provisoire
qui gère actuellement les destins de notre Patrie. Le Saint Siège,
dans des situations analogues, a tracé des normes que les catholiques
doivent suivre avec fidélité. Selon ces règles, le devoir
des catholiques est de rendre tribut, aux gouvernements constitués de
fait, respect et obéissance pour le maintien de l’ordre et pour
le bien commun. Que l’attitude de très grande prudence du Saint
Siège nous serve de guide pour notre conduite sur ce point. Celui-ci,
quand il lui a été notifié la constitution du nouveau gouvernement,
a déclaré être disposé à le seconder dans
le maintien de l’ordre public, confiant que, pour sa part, le gouvernement
respecterait les droits de l’Eglise et des catholiques dans une Nation
où la quasi-totalité de la population professe la religion catholique.
Devoirs des catholiques dans leurs comportements politiques
Il a été répété plusieurs
fois ces derniers temps que l’Eglise ne doit pas se mêler de la
politique. Mais, comme avait déjà averti Pie X, « Ce n’est
certainement pas l’Eglise qui est descendue dans l’arène
politique, on l’a entraînée sur ce terrain pour la mutiler
et la dépouiller »
Ne doit-on pas lui concéder au moins le droit de se défendre sur
le même terrain qu’elle est combattue ? « Quand la politique
touche l’autel, disait Sa Sainteté Pie XI à la Fédération
Universitaire Italienne, alors la Religion et l’Eglise et le Pape qui
la représente ont, non seulement le droit, sinon le devoir de donner
des indications et des règles, que les catholiques ont le droit de rechercher
et l’obligation de suivre »
De là que le Souverain Pontife Pie X réprouva la doctrine qui
affirme que c’est un abus d’autorité ecclésiastique
celui de ce qu’elle prescrive au citoyen ce qu’il doit faire. L’Eglise
ne se préoccupe pas d’intérêts purement temporaires
; elle ne veut pas envahir des compétences d’autrui ni priver ses
enfants de la légitime liberté de ces affaires que Dieu laissa
aux disputes des hommes, mais elle ne peut consentir que l’on ignore ou
que l’on minimise ses droits ni les droits religieux de ses enfants.
Quand cela arrivera, elle fera son devoir auquel elle ne peut se soustraire
sans manquer à sa mission divine, alertant les catholiques du danger,
les engageant à le conjurer, en leur donnant des directives pour une
meilleure réussite de leurs objectifs supérieurs.
Il incombe aux catholiques d’obéir et d’accomplir les instructions
et directives de l’Eglise qui, avec l’assistance de l’Esprit-Saint
qui la gouverne, et avec vingt siècles d’expérience, sait
toujours trouver parmi les plus grandes obscurités, le chemin de la vérité
avec justesse. L’Eglise donc, nous apprend en premier lieu que : «
quand les ennemis du règne de Jésus-Christ avancent résolument,
aucun catholique ne peut rester inactif, isolé dans son foyer où
occupé seulement à ses affaires privées »
« Préparer et accélérer –dit Sa Sainteté
Pie XI dans son encyclique sur la royauté de Notre Seigneur Jésus-Christ
- le retour de la société à Jésus-Christ par l’action
et par les œuvres est certainement le devoir des catholiques, mais beaucoup
d’entre eux ne paraissent avoir dans la cohabitation sociale ni la place
ni l’autorité de ceux qui portent devant eux la torche de la vérité.
Ces désavantages découlent peut-être de l’apathie
et la timidité des bons qui s’abstiennent de lutter ou résistent
faiblement. Il en résulte que les ennemis de l’Eglise prennent
davantage de témérité et d’audace »
« A vous –disait à son tour Pie X aux catholiques dans son
encyclique Communium Rerum – a vous de résister vaillamment contre
cette funeste propension qu’a la société moderne à
s’endormir quand la lutte contre la Religion s’accentue, dans une
inertie honteuse, cherchant une vile neutralité érigée
sur de vains respects et compromis ; tout cela en préjudice de ce qui
est juste et honnête, oublieux de cette infaillible et stricte sentence
du Christ : -"Celui qui n’est pas avec moi est contre moi-"
Ce même Pie X dans son très saint document
Inter Catholicos Hispaniae, écrivit ces paroles : - « Ayez tous
présent que devant la Religion et le bien public en danger, il n’est
licite à personne de rester oisif » – De ce que déduisit
logiquement notre vénérable prédécesseur, le cardinal
Aguirre, dans la première de ses mémorables Normes d’Action
Catholique et Sociale que -“les catholiques ne doivent pas abandonner
dans les mains de leurs ennemis, le gouvernement et l’administration des
peuples“-
A cela équivaudrait son abstention, puisque, comme avertissait le Pape
Léon XIII, dans son encyclique Inmortale Dei : -« Si les catholiques
restent quiets et oisifs, prendront facilement le pouvoir des affaires publiques,
des personnes dont les idées ne peuvent offrir de grands espoirs d’un
gouvernement salutaire »-
Pour empêcher cela, il est nécessaire de la part des catholiques,
une efficace et prudente action politique. N’est-il pas un devoir de tous
les catholiques –disait Sa Sainteté Pie X dans son encyclique du
25 août 1910- d’utiliser les règle politiques à portée
de sa main pour défendre l’Eglise et aussi pour obliger la politique
à rester sur son terrain et ne pas s’occuper de l’Eglise
sinon pour lui donner ce qui lui est dû.
Cette action doit se diriger de façon spéciale pour qu’aux
Assemblées administratives comme à celles politiques de la Nation
soient élues les personnes qui, considérées les conditions
de chaque élection, paraissent plus aptes à respecter les intérêts
de la Religion et de la Patrie dans l’exercice de leurs pouvoirs.
Est-il nécessaire d’insister sur l’opportunité de
cet avertissement, à l’heure actuelle de la vie espagnole quand
vont être élues les Cortes Constituantes (parlement) qui devront
décider non seulement la forme de gouvernement qui, au fond n’est
une chose d’intérêt secondaire et accidentel, sinon beaucoup
d’autres points extrêmement graves, d’une transcendance incalculable
pour l’Eglise et les catholiques et pour toute la Nation ? Nous nous trouvons
dans une de ces heures où il va être décidé, peut-être
de façon irrémédiable, l’orientation et l’avenir
de notre Patrie.
En ces moments d’angoissante incertitude, chaque catholique doit
mesurer la magnitude de ses responsabilités et accomplir vaillamment
son devoir. Si nous avons tous les intérêts supérieurs en
vue, sacrifiant le secondaire au profit du principal, si nous unissons nos efforts
pour lutter dans une cohésion et discipline parfaites, sans vaines vantardises,
mais avec foi dans nos idéaux, avec abnégation et esprit de sacrifice,
nous pourrons regarder l’avenir tranquillement, sûrs de la victoire.
Si nous restons quiets et oisifs, si nous nous laissons porter par l’apathie
et la timidité, si nous laissons libre le chemin à ceux qui s’efforce
de détruire la religion ou si nous confions le triomphe de nos idéaux
à la bienveillance de nos ennemis, nous n’aurons même pas
le droit de nous lamenter quand la triste réalité nous démontrera
qu’ayant tenu la victoire en mains, nous n’avons pas su lutter audacieusement
ni succomber avec gloire.
Dans les circonstances actuelles, tous les catholiques, sans distinction de
partis politiques, doivent s’unir dans un grand rassemblement. Ce que
le Pape Pie X jugeait « nécessaire et indispensable » il
y a des années, l’est encore plus aujourd’hui : Nécessaire
et indispensable –disait ce regretté Pontife- l’Eglise a
jugé que les catholiques d’Espagne, s’ils ne pouvaient réussir
une union permanente et habituelle, établissent au minimum des accords
transitoires, pernodum actus transeuntis, chaque fois que les intérêts
de la Religion et de la Patrie exigent une action commune, spécialement
devant chaque menace d’attentat au préjudice de l’Eglise.
“Adhérer promptement à telle union ou action pratique commune
–continuait le Souverain Pontife cité- est un devoir essentiel
de tout catholique, quel que soit le parti politique à qui il appartient“
Nous voudrions ne pas avoir à écrire des noms qui pourraient être
des étendards de combat de groupe divers, mais nous nous sommes imposés
le devoir de parler avec une entière clarté et nous l’accomplirons
loyalement. C’est ainsi que nous disons à tous les catholiques
: républicains ou monarchistes, vous pouvez noblement être en désaccord
quand il s’agit de l’orientation de gouvernement de notre Nation
ou d’intérêts purement humains, mais quand l’ordre
social est en danger, quand les droits de la Religion sont menacés c’est
un devoir absolument indispensable de vous unir tous pour les défendre
et les sauver.
Il est urgent que, dans les circonstances actuelles, les catholiques négligeant
leurs tendances politiques, dans lesquelles ils peuvent rester librement, s’unissent
d’une façon sérieuse et efficace pour obtenir que soient
élus aux Cortes Constituantes les candidats qui offrent une pleine garantie
qu’ils défendront les droits de l’Eglise et de l’ordre
social.
Dans l’élection de ces candidats, il ne faudra pas donner de l’importance
aux tendances monarchistes
ou républicaines, sinon qu’il faudra regarder, par-dessus toute
autre considération les susdites garanties. Pourraient nous servir d’exemple
ce que firent les catholiques de Bavière après la révolution
de novembre 1918 : tous unis et en concorde, ils œuvrèrent ardemment
pour préparer les premières élections dans lesquelles ils
atteignirent une notable majorité, encore que seulement relative, de
façon que, constituant le groupe parlementaire le plus fort, ils purent,
comme en témoignent les faits, sauver le pays du bolchévisme qui
menaçait et qui arriva à dominer quelque temps, et défendre
les intérêts de la Religion jusqu’à la conclusion
d’un concordat, très favorable à la liberté de l’Eglise
et des écoles confessionnelles.
On ne parlait pas de monarchie ni de république, sinon que toute la campagne
électorale se basa sur ces deux points : Défense de la Religion
et défense de l’ordre social.
Cette coïncidence sera facile si tous les catholiques qui appartiennent
à un quelconque parti, se souviennent qu’ils « sont obligés,
comme enseigna Sa Sainteté Pie X, à conserver toujours intègre
leurs liberté d’action et de vote pour refuser de coopérer
d’une façon ou d’une autre, aux lois ou dispositions contraires
aux droits de Dieu et de l’Eglise, et, aussi à faire dans toute
occasion opportune, tout ce qui dépend d’eux pour soutenir positivement
les droits susdits »
Nous jugeons innecessaire descendre à plus de détails. Le temps
n’est pas aux longs discours, sinon à celui de prier, d’œuvrer,
de se sacrifier si c’est précis, pour la cause de Dieu et le bien
de notre bien aimée Patrie.
Si vous faites tous, mes vénérables frères et très
aimés enfants, Dieu bénira vos efforts. Promesse de la bénédiction
divine soit celle que nous vous donnons au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit.
Toledo, 1er mai 1931
PEDRO, cardinal Segura y Sáenz